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Elf : l'opération marketing top secrète qui a surpris toute la France

Elf est une entreprise pétrolière française née après la Seconde Guerre Mondiale quand la France prend conscience de l’importance d’assurer son propre approvisionnement pétrolier. On récupère, en dommage de guerre, on achète, on crée des marques. Avia, Caltex, Solydit, ButaFrance, ButaLacq, Lacq, La Mure, CFPP, sont autant de marques qui s’empilent dans le catalogue, se font concurrence et manquent de visibilité au bord des routes. La gestion des budgets publicité est un coûteux casse-tête face à une concurrence qui a déjà pris le train de la communication. Esso a “Un tigre dans le moteur”, alors que chez Shell “C’est Shell que j’aime”.

Décision est prise de réunir toutes les entités sous une seule marque unique, moderne, et facile à prononcer. On fait même appel à un puissant ordinateur qui recense les 8 253 000 combinaisons possibles de 3, 4 et 5 lettres.


Les ronds rouges arrivent A la fin de l’année 1965, il ne reste que 5 noms : “Ritm”, “Alzan”, “Elf”, “Elfe” et “Elan”. Rapidement le choix se porte sur Elf. Le logo sera un trépan stylisé. C’est la proposition d’un graphiste de l’équipe, Jean-Roger Riou, qui va faire naître la légende des Ronds Rouges. Véritable “signal optique”, le rond rouge a donné son nom à la campagne publicitaire de lancement de la marque “Les ronds rouge arrivent”. La station service se définit alors par un rond rouge apposé sur l’architecture, du sol au toit, parfois entier, parfois jouant avec l’architecture des lieux, mais suffisamment fort et visible pour être vu tout de suite, et de loin.


Une opération top secrète

Jean-Marc Chaillet, responsable de l’opération dans l’agence de communication nous raconte “J’ai signé un contrat de confidentialité. Pendant plus de six mois j’ai travaillé jour et nuit sur cette opération, enfermé dans un bureau sans fenêtres. En dehors de la direction, seules trois personnes étaient au courant chez ELF et deux à l’agence. Même mon patron à l’agence ignorait tout du projet. Non seulement on imaginait une marque, mais on allait repeindre des milliers de stations en une nuit.”


L’invention du teasing Au début du mois d’avril 1967, partout en France, sur les panneaux d’affichage, dans les journaux, à la radio ou dans les magazines, on annonce l’arrivée des ronds rouges. Personne ne sait ce que cela signifie et le budget publicité est acheté par une fausse entité afin de garder l’anonymat. “Les ronds rouges arrivent”, “Curieux mais sympathique ce rond rouge”, “le rond rouge, moi je l’ai vu comme ça, au bord de l’eau”, les mystérieux messages se succèdent et tout le monde y va de son explication. Pendant ce temps, on teste les ultimes détails. Une ferme isolée est transformée en station fictive où on teste les décors. Commence alors un véritable jeu d’espions.


Le grand bluff

Une vraie station du côté de Fontainebleau reprend la décoration des futurs points de vente. Le nom ELF est remplacé par OLT. On organise des essais en filmant le passage devant la station à plusieurs vitesses, pour évaluer la lisibilité. Aux curieux, on raconte qu’il s’agit d’un tournage avec Mireille Darc. On divulgue même de fausses informations. Des photos présentant des stations bâchées sont envoyées à la presse. Chez ESSO, on en est certains, le nom de la marque sera ELAN. On lance alors une campagne “ESSO prend son ELAN”. Raté.

La plus grosse opération marketing du pays Le grand soir arrive enfin le 27 avril. Au siège du géant Français du pétrole, tous les salariés du groupe sont mobilisés. On révèle enfin aux employés ce qu’ils sont venus faire cette nuit. A la fin de la réunion, chacun repart avec un ordre de mission détaillé. Depuis des mois le travail de l’ombre a commencé. Par exemple les 2500 stations CALTEX à travers l’hexagone ont été repeinte progressivement en blanc, sous couvert d’opération d’entretien. Parfois une visite de techniciens dans les stations sert de prétexte pour percer trois trous destinés des mois plus tard à recueillir les 3 lettres ELF.


Repeindre des milliers de stations en pleine nuit

Chacun, de l’employé au cadre supérieur, se voit attribuer une mission au sein d’une des 1250 stations concernées par l’opération. Il faut changer entièrement la décoration, les enseignes et la couleur de toutes les pompes, bâtiments et même camions. Avec les artisans, ce sont 12 000 acteurs qui participent à ce relooking.

A Paris, rue Jean-Nicot, les directeurs d’ELF ont les yeux rivés sur un immense tableau où on suit l’avancée des opérations, station par station.


La surprise

La France se réveille avec un réseau de 1250 stations services Elf flambant neuves, tenues par des pompistes arborant noeud papillon rouge et casquette assortie. Ce sont 4500 stations qui seront mises à jour en 1970.

Jean-Marc Chaillet raconte : “Vers deux heures du matin, les gens ont commencé à comprendre ce qui se passait. Nous avons lâché un camion citerne aux couleurs d’ELF dans Paris. Quand le camion est passé sur les Champs-Elysées, tout le monde s’est mis à applaudir. On ne s’attendait pas à un tel succès. Au petit matin, partout en France, tout le monde connaissait ELF. La nuit des ronds rouges était réussie.”


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